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Pierre Vuarin

Article sur la nécessaire transformation du système alimentaire actuel. Pierre Vuarin

La durabilité et la relocalisation du système alimentaire mondial : une révolution nécessaire !


On pourrait penser que la crise alimentaire est derrière nous comme la crise économique qui se développe actuellement.... En effet, les prix des céréales et de oléagineux ont diminué au niveau mondial depuis quelques mois. Pourtant, les chaines alimentaires continuent à s'allonger, à se complexifier, à se fragiliser. Les agricultures du monde sont toujours mises en concurrence  forcée sous l'impact de la libéralisation et de la marchandisation du monde. La non régulation de la production agricole et la non gestion des stocks au niveau mondial, l'augmentation régulière de la population mondiale et la transition vers des régimes alimentaires plus carnés constituent des tendances lourdes qui structurent le système alimentaire mondial. Demain, des crises alimentaires plus conséquentes sont à craindre.
Il est nécessaire de comprendre ce qui s'est passé, en particulier, depuis une cinquantaine d'années,  afin d'engager la nécessaire révolution du système alimentaire dans le sens de sa durabilité et de sa relocalisation.

La différenciation des agricultures du monde


Depuis la seconde guerre mondiale mondiale, un processus de différenciation des agricultures du monde s'est opéré. Les inégalités de productivité se sont accrues de manière phénoménale entre les agriculteurs travaillant sans tracteurs, sans motoculteurs qui représentent la plus grande majorité des paysans du monde et les trente millions de paysans modernisés (2% des paysans de la planète). La révolution technologique et productiviste est passée par là au niveau mondial. Elle a touché une minorité de paysans. Mais elle affecte l'ensemble de la réalité mondiale par ses conséquences positives ou négatives.

 

Libéralisation des marchés et la marchandisation du monde.


Un processus politique a transformé fortement le système alimentaire mondial: la libéralisation des marchés. Quand les responsables politiques et économiques  des USA ont vu dans les années 1980 que leurs produits agricoles perdaient pied sur le marché mondial, concurrencés par les produits subventionnés de la Politique Agricole Commune Européenne puis par les céréales venant des pays d'autres pays  (Australie, Brésil, Argentine..), ceux-ci réclamé à grands cris, sur la scène internationale, la libéralisation des échanges au niveau international. Mais en même temps, les USA ont tout fait pour préserver leur propre système de soutien de leurs agriculteurs qui était accepté par le règlement interne du GATT (l'accord qui organisait le commerce d'une partie des pays du monde avant 1996) puis par le règlement de l'OMC.  Les USA ont réussi un joli tour de « passe passe » au niveau international. Leur discours sur « le libre marché et la libéralisation des échanges » a permis de masquer leur grossier mensonge. L'Union Européenne s'en est faite alors la complice, prête à rentrer dans le jeu des petits arrangements avec les USA, afin de prolonger ses propres avantages. Le processus de libéralisation a aussi largement été mis en oeuvre par un autre moyen: les plans d'ajustement structurels visant spécialement les pays du sud.  La Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International ont été les grands promoteurs de ces plans visant à rétablir l'équilibre budgétaire de ces pays. Ces plans ont restreint le pouvoir et l'intervention des états et ont cherché à  développer « l'avantage comparatif » de ses pays dans le jeu des échanges internationaux. On a ainsi ouvert la voie à des importations de produits alimentaires, en espérant que ces pays  puissent aussi exporter. « Voyez le prix des céréales, de certains produits agricoles sur le marché mondial, A quoi cela sert-il de chercher à les produire ? Il serait mieux de les importer et d'exporter des produits, matières premières qui paraissent compétitives sur le marché international » tel était le discours répété en boucle par les experts de ces deux institutions internationales . De nombreux pays du sud, contraints par la Banque Mondiale et le FMI mais aussi vendus par une partie de leurs élites, ont suivi ce chemin. Ils ont abandonné une partie de leur paysans qui est partie en ville ou qui est restée à la campagne dans des conditions très difficiles de vie, avec des prix des produits agricoles bas, de plus en plus dictés par les prix des marchés internationaux.

Les pays du sud les moins avancés sont devenus de plus en plus importateurs d'aliments.


Dans les Pays les Moins Avancés (PMA) les importations ont fortement augmenté à partir des années quatre vingt. Les pays d'Afrique, d'Amérique latine ont aussi vendu une partie de leurs droits de pêche à d'autres pays ou à des compagnies internationales. A partir des années 80, de plus en plus de poissons ont été exportés des pays en voie de développement vers les pays industrialisés. Ces derniers se retrouvaient avec une dégradation de leurs propres ressources halieutiques induites par des pratiques de surpêche liées, en particulier, au développement de la pêches industrielle.
Ainsi de nombreux pays du sud sont devenus fortement dépendants du marché alimentaire mondial. Cette dépendance se révèle aujourd'hui catastrophique lorsque les prix font « le yoyo » au niveau international, au gré de la variation des stocks mondiaux et de la spéculation.

Les surplus des agricultures les plus productives créent la référence en matière de prix des céréales.


Les surplus des agricultures les plus productives en matière de céréales sont venus, historiquement,  par vagues successives, se déverser sur le marché mondial. Ce sont ces surplus de céréales qui ont structuré le prix de ces denrées agricoles au niveau mondial. Ils ont fait référence en matière de prix pour le marché international mais aussi pour les marchés nationaux. Dans les années 60 et 70, ce sont les coûts de production des céréaliers américains qui ont fait référence. Les Australiens sont venus progressivement les concurrencer. Actuellement ce sont les céréales d'Argentine, d'Ukraine qui pèsent sur l'établissement de ces  prix mondiaux.  Dans ces pays, les agriculteurs travaillent des milliers d'hectares avec des moyens techniques dits modernes.  Les travailleurs sont payés avec des salaires très bas (de 2 à 10 dollars par jour). Les céréaliers américains ou européens, encore moins les agriculteurs africains ne peuvent concurrencer ces coûts de production …. Vu les niveaux de prix, de nombreux paysans d'Afrique, du pourtour Méditerranéen, des Pays Andins, d'Asie, ont abandonné ou diminué leur production agricole, en particulier de céréales. Ils sont venus grossir la masse de population vivant dans les favelas, dans les banlieues pauvres des grandes villes. Ils sont aussi allés travailler dans quelques grandes exploitations de fleurs, de production de poulets ou de crevettes le long de certaines côtes..  Des millions de paysans ont ainsi abandonné leurs productions, leurs terres en Amérique latine, en Afrique, en Asie.

Les USA et l'Union Européenne abandonnent une réelle politique publique de stockage des céréales.

 


Dans le même temps, au niveau international, l'Union Européenne, les USA ont abandonné le soutien financier au stockage des produits agricoles. Cela coûtait trop cher. Les plans d'ajustement structurels, l'OMC de leur côté ont cherché à décapiter tous les systèmes publics de contrôle du commerce des céréales au niveau des pays. Il fallait de la fluidité...Pourquoi les USA devaient ils se charger de s'occuper des stocks mondiaux de céréales ? On devait laisser aux marchés le soin de mieux révéler l'offre et la demande au niveau mondial. Les équilibres devraient se faire grace aux forces du marché.   On a donc laissé le marché jouer son jeu, seul. Pourtant, il y avait eu, avant la phase de libéralisation des économies des années 1980, la crise alimentaire des années 1974, 1975. Avec la forte baisse des stocks de céréales au niveau mondial, une spéculation aussi bien locale que  mondiale s'était alors développée. Le prix des céréales avait plus que triplé. Résultat quelques dizaines de millions de morts, en particulier, en Afrique. Mais certains spécialistes avaient vu un manque de fluidité des marchés et de capacité pour transporter les produits agricoles.  Cela était vrai au niveau local ou régional. Un meilleur échange des produits alimentaires auraient pu éviter des drames dans plusieurs pays. Mais au niveau mondial, la diminution des stocks avaient créé une flambée des prix. Heureusement, en comparaison avec aujourd'hui, dans les années 70, de nombreux pays étaient moins fortement dépendants du marché international en matière alimentaire.

 

Au début des années 1990, les Chinois assument une fonction de régulation des stocks mondiaux de céréales


Au cours des années 70, 80, les chinois ont augmenté leur production agricole, aquacole grâce à leur grand marché intérieur, grâce à la protection de leur frontière contre les importations à bas prix, grâce aussi à la remise en valeur de l'exploitation familiale et paysanne dans leur système politique et économique. Fort de leur expérience historique, ils ont constitué des stocks importants de céréales, en particulier. C'est ainsi, qu'à partir des années 90, de manière paradoxale, ce sont eux qui ont contribué à maintenir, au niveau mondial un niveau acceptable de stocks de céréales (blé, maïs..). Entre 1996 et 2000, la Chine détenait 50% des stocks de blé et 60% des stocks de maïs mondiaux. Les USA ont alors abandonné leur rôle de régulateur des stocks mondiaux. L'Union Européenne n'a pas cherché à l'assurer, toute mobilisée à limiter le coût de sa Politique Agricole Commune. Au début des années 2000, avec l'entrée de la Chine dans l'OMC, et  la progressive mise en concurrence des prix de leurs produits agricoles avec le marché mondial, les prix intérieurs des céréales en Chine a baissé. La production a fluctué. Les paysans ont eu tendance à se démobiliser. La consommation intérieure en céréales en Chine a elle, augmenté avec le changement de l'alimentation. Néanmoins, les stocks de céréales de ce pays sont restés à un niveau élevé même s'ils  ont relativement baissé. Ceux de l'Union Européenne et des USA sont tombés à des niveaux très bas, en particulier, en 2007....Très peu de personnes ont noté ce point et la responsabilité de l'Union Européenne et des USA en matière de gestion des stocks et dans le déclenchement de la crise alimentaire.

Fin 2008, les stocks sont au plus bas, c'est la spéculation


A l'automne 2008, la situation présente des analogies avec celle de 1974.  Le niveau des stocks mondiaux de céréales atteint  les 16 %. Les marchés financiers s'intéressent alors à cette situation. A grande échelle, la spéculation se développe.  Les prix explosent. Ils sont multiplié par deux ou par trois. On connait la suite: les révoltes de la faim. La plupart des responsables politiques et des médias orientent l'opinion  public sur  la sécheresse en Australie, le changement d'alimentation des chinois qui consomment plus de viande,  la population mondiale qui augmente.  Les opposants à ces thèses attaquent avec une certaine justesse aussi le développement des agrocarburants qui a mobilisé des cultures alimentaires (mais, colza..), en particulier aux USA  pour les transformer en alcool.

Mais rien n'est dit ou si peu sur le manque de régulation des stocks du niveau local au niveau mondial, sur la libéralisation des marchés alimentaires qui a mis en concurrence des  agricultures complètement différentes, qui a fragilisé et rendu complètement dépendants des milliards de personnes vis à vis de quelques aléas et des spéculateurs internationaux et locaux.

Depuis, une grande réunion a eu lieu à Rome, à la FAO. On a décidé de continuer la libéralisation des marchés et d'investir dans l'agriculture...Mais certaines  causes fondamentales de cette crise qui vient de loin, n'ont pas été remises en cause. On s'est rassuré depuis, de la diminution des prix agricoles au niveau mondial. On a aucunement préservé les produits alimentaires, au niveau international, de la spéculation possible. Mais à Rome, nous étions encore, avant la découverte de l'ampleur de la crise économique actuelle et de  la folie des marchés financiers.

Face à la marchandisation du monde à marche forcée.


La marchandisation du monde qui tente de saturer tous les espaces de la vie nous paraît au centre de la crise actuelle. Elle est aussi au centre de la crise du système alimentaire mondial.
Continuer à faire fonctionner les marchés internationaux et nationaux des céréales sur la base du prix  des surplus de pays qui ont des conditions de production imbattables (Ukraine, Argentine , Brésil...) est absurde et destructeur des systèmes alimentaires locaux, nationaux...Ces prix, nous l'avons vu sont obtenus que grâce à des avantages structurels (grandes exploitations), mais aussi grâce à la ponction que ce type d'agriculture opère sur la nature et que grâce aux conditions de travail très dommageables pour les salariés. .....Cette situation et cette logique que l'on retrouve dans d'autres productions agricoles vont encore dissuader des millions de paysans de continuer de produire. Cela va les inciter à quitter leurs terres. Ce n'est vraiment pas la meilleure période pour le faire au moment ou l'on rentre dans une crise  qui touche tous les secteurs d'activité et donc l'emploi, au niveau mondial. Les paysans du monde ont besoin de prix minimum et stables qui rémunèrent leur travail et permettent à leur familles de vivre. C'est une règle simple pour leur permettre de vivre, de se moderniser tout en préservant l'environnement.  Mais cette règle est peu entendue par les responsables politiques au sud comme au nord. On préfère souvent miser sur un modèle industriel et productiviste de l'agriculture en pensant que c'est celui-ci produira des quantités de produits au meilleur coût et qui pourront être exportés. Dans de tels raisonnements on oublie les paysans en place, les communautés maritimes de pêcheurs, leurs cultures. On oublie les populations locales victimes de malnutrition. On ne regarde pas les impacts néfastes de ces agricultures ou pêches industrielles sur l'environnement, sur la qualité des aliments, sur la vie sociale. On les nie. On laisse les problèmes se transférer sur la nature, sur les plus pauvres, afin de prolonger ce système libéral qui pousse à la saturation, à la crise, à l'explosion.

La révolution des systèmes alimentaires comme prologue d'un changement des modes de vie ?  


Y a t-il des voies alternatives face à cette marchandisation du monde, à celle des systèmes alimentaires ? Nous voyons des traces de  volonté à mieux maitriser leur alimentation, au niveau  de certaines communautés humaines, en particulier au niveau local. On voit alors poindre une volonté de donner une pleine dimension humaine, créative et culturelle à l'alimentation.  La reprise de l'expression de « souveraineté alimentaire » par de nombreuses organisations à travers le monde, le développement du mouvement Slow Food, les nombreuses expériences pour transformer la restauration scolaire en restauration durable en Europe témoignent de cette tendance actuelle.   Elles expriment de nouvelles pratiques, la volonté de changer ce système alimentaire de plus en plus dominant.

Convention mondiale de l'alimentation et processus multi-acteurs dans les filières et  les systèmes alimentaires locaux.


Il nous apparaît que ce système alimentaire mondial et dominant doit aujourd'hui  changer de direction, comme un grand bateau change de cap. Nous sommes arrivés à un niveau extrêmement poussé de délocalisation des productions, de complexité et de longueur des chaines alimentaires. Cela crée fragilité sanitaire, économique et d'approvisionnement à terme . Cela créée aussi des impacts sur l'environnement très forts (pollutions, diminution de la biodiversité, consommation forte en énergies fossiles). La rupture avec le système de marchandisation extrême dans laquelle l'humanité est engagée doit s'opérer pour tout simplement survivre. Ce changement de cap va t il s'opérer concernant l'alimentation ? Cela nécessiterait d'aller de manière progressive vers des systèmes alimentaire plus durables, plus relocalisés. Cela devrait se faire de manière résolue mais progressive.  L'alimentation est au centre des besoins fondamentaux des hommes. Cela peut être l'occasion que s'affirme une rupture avec l'hégémonie des marchés et de la marchandisation du monde. Nous pensons que la promulgation d'une convention mondiale de l'alimentation permettrait de construire une nouvelle hiérarchie de droit au niveau international (1)1. Cela éviterait l'hégémonie actuelle du commerce et du libre marché dans le système de droit international.     C'est de cette manière que l'on pourrait mettre en place des formes de régulation des stocks, en particulier, au niveau mondial, que l'on pourrait éviter ou interdire la spéculation internationale vis à vis de l'alimentation, que l'on pourrait valoriser les sciences gastronomiques et les cultures alimentaires. Mais cette révolution nécessaire demandera aussi la mobilisation des différents acteurs dans les systèmes alimentaires actuels (acteurs de la production, de la transformation, de la distribution, acteurs politiques, « mangeurs »)  dans des processus multi-acteurs locaux, de filières pour prendre à bras le corps la durabilité de ces systèmes et aussi leur nécessaire  relocalisation.

 

 

(Voir croquis)


Pierre Vuarin
Responsable de Programmes
Fondation Charles Léopold Mayer
Co-créateur de l'Alliance Internationale Terre Citoyenne.

Vous pouvez voir aussi la video Global Café avec Pierre Vuarin

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